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Nouveau livre photo : 24 heures à l'Ouest de Denver ! by Adrien Le Falher

Après 3 mois de voyages en van dans l’Ouest des Etats-Unis, je suis heureux de vous présenter le fruit de mon travail, le livre 24 heures à l’Ouest de Denver !

S’il est quelque chose de marquant dans l’Ouest Américain, c’est bien sa diversité : les paysages immenses se succèdent mais ne se ressemblent pas, et je voulais créer une série cohérente qui reflétait cette diversité. Je voulais montrer les grands espaces et les petits détails merveilleux.

C’est ainsi que m’est venu l’idée de la série, et du livre : montrer, par une série de diptyques, la variété des Etats-Unis, en faisant cohabiter deux lieux différents pris à la même heure. Plus que juste extraire une image d’un paysage, le relier à un autre et créer une alchimie qui dit plus, je l’espère, que les deux photos seules.

J’ai déjà sorti plusieurs livres d’art et des magazines, mais jusque là la diffusion n’était que numérique. Mais je suis trop attaché au papier, à la dimension supplémentaire qu’il apporte à la photographie. Pour écrire avec de la lumière, il faut bien un support.

C’est pourquoi je lance une campagne de précommande qui permettra au livre de sortir : l’économie du livre d’art aujourd’hui nécessite un support initial pour lancer les machines. En un mot, je ne pourrais pas sortir le livre sans vous.

Ce livre est le fruit d’un travail de 6 mois, dont je suis très fier. La préparation du voyage, des photos, se lever tous les jours avant le soleil pour espérer en tirer de belles images, tout le travail de sélection parmi les 50.000 images, et tout le travail avec l’imprimeur… Tout se retrouve ici, sur cette centaine de pages de papier. J’espère qu’il vous plaira.

Cliquez sur la photo pour précommander le livre, et acheter des tirages exclusifs.

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ROYGBIV : Textures and colors of Hong Kong by Adrien Le Falher

Des oranges, une fissure, une jonque… Hong Kong aura toujours pour moi un parfum particulier, une place unique dans mon coeur. Plus colorée que Tokyo, plus grouillante que New York, cette ville m’inspire plus qu’aucune autre. 
On connait le grand panorama du Victoria Peak, cet enchainement de bâtiments de verre, modernes et propres, mais il faut être allé à Hong Kong pour découvrir les allées entre les immeubles. Je me rappelle toujours avec nostalgie des bouchers et de leurs morceaux de viandes pendus aux crochets dehors, des marchés aussi larges que les rues de Mong Kok, et surtout, de la couleur de tous ces bâtiments. Là où beaucoup de villes s’habillent du gris du béton, Hong Kong rayonne de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, qui lentement se fanent. 
Lorsque j’y suis retourné en 2016, je ne pouvais pas me contenter des points de vues typiques. Il me fallait donner ma vision personnelle de la perle de l’Orient, dans tout ce qu’elle avait de plus usé, mais aussi de plus charmant. Un portrait vivant de ces murs qui respirent, qui me parlent. J’espère qu’à travers ces clichés, vous voyagerez vous aussi dans cette ville si chère à mon coeur. 

 

Some oranges, a crack in the wall, a junk... Hong Kong will always have for me a specific scent, a special place in my heart. More colorful than Tokyo, busier than New York, this city inspires me more than anything else. 
Everybody knows the view
on Victoria Peak, this cityscape of great glassy buildings, modern and clean, but you have to go to Hong Kong to discover the little alleys between each of them. I will always fondly remember the butchers and the meat hanging on the streets, the night market in Mong Kok, but above all, the colors of every building. Many cities just look like concrete grey, while Hong Kong shines of all the colors of the rainbow, slowly fading. 
When I went back in 2016, I couldn’t just explore the typical
view points. I had to give my own vision of the Pearl of the Orient, in all its decrepitude but also how charming it all is. A living portrait of these breathing walls ; they are talking to me. I hope that through these few photographs, you will travel to this city so dear to my heart. 

Ouverture de la boutique, et concours pour gagner une photo ! by Adrien Le Falher

C'était l'étape logique après ce long voyage, et je suis heureux de vous dire que ma boutique de tirage en ligne est enfin ouverte ! 

Le papier est de toute beauté !

Le papier est de toute beauté !

Beaucoup de photos sont à vendre, toutes triées par lieu, genre, orientation et couleur, histoire que vous puissiez rapidement trouver votre bonheur ! 

J'ai mis du temps à ouvrir la boutique parce que je voulais être sûr de pouvoir envoyer de vrais oeuvres d'arts, des objets dont je pourrais être fier. C'est pourquoi j'ai d'abord testé et étalonné plus de 25 papiers photos différents, venant du monde entier, pour ne garder que le meilleur. Un papier beaux-arts Ilford absolument sublime, celui que Salgado a utilisé pour sa série Genesis, qui est probablement un des plus beaux tirage photographique que je n'ai jamais vu. 

Et puis il a aussi fallu que je vois toute ma chaîne de production : en effet, pour réduire le prix au maximum afin de rendre les photos plus abordable, j'ai du m'impliquer à fond, et tout faire moi-même. Ainsi, j'ai pu soigner la qualité à tout les échelons (je vous spoile pas tout, mais si jamais vous me passez une commande, vous ne devriez pas être déçus !), tout en gardant les coûts suffisamment faibles pour permettre de vendre les photos à un prix très raisonnable : pas cher oui, mais surtout, pas cheap ! 

 

Pour célébrer cette ouverture, donc, je commence par un concours : la première photo (de votre choix) est à gagner ! 

Partagez cette page et remplissez le formulaire ci-dessous.

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Vous n'avez qu'à partager le concours sur facebook, remplir le formulaire ci-dessous (et confirmer votre inscription avec le mail que vous recevrez), et c'est dans la boite ! Rendez-vous le 9 décembre. En attendant, n'hésitez pas à faire un tour dans la boutique ! 

www.adrienlefalher.tictail.com

« Thank you for your kindness », l’éthique dans la photographie de voyage. by Adrien Le Falher

Ma soeur est étudiante en photo-journalisme, et récemment elle me demandait des références sur l’éthique en photographie. Etant avant tout un photographe de paysage, les questions éthiques que je me pose habituellement ne sont pas forcément celles que l’on retrouve dans la photographie de journalisme ; je me demande s’il est éthique d’accéder à tel ou tel lieu, à le représenter comme je le fais, à populariser un lieu, et donc le rendre plus visible, plus touristique, et à contribuer à la destruction de son ambiance. 

Parfois, alors qu'on se retrouve seul dans des endroits magnifiques, on a envie de garder ces lieux rien que pour soi. 

Ce sont des questions qui me taraudent à chaque clichés que je prends, et je garde parfois pour moi certaines photos, ou je ne divulguent parfois pas complètement le lieu des photos que je prends, pour en garder ce qui fait leur charme : leur situation reculée, cachée… Combien de paysages m’ont bouleversés lorsque je les ai découvert, par hasard, après une heure de marche et de détours dans des petites bourgades sans noms. Ma vision, en tant que photographe, est presque celle d’un archiviste : je suis avant tout intéressé par la conservation des lieux, naturels ou non. J’enregistre, le plus parfaitement possible (au niveau technique), l’aspect des lieux que je visite, pour en garder des images précises, pour conserver un patrimoine mondial. Ansel Adams n’est pas uniquement un de mes modèles en tant que photographe : c’est grâce à lui que les parcs naturels nationaux existent aujourd’hui aux Etats-Unis, parce que ses photographies ont amené à sensibiliser les gens à la beauté de leurs terres, et à l’importance de leur conservation. 

Si ce travail a été fait aux Etats-Unis et en Europe, il y a encore bien des pays où la prise de conscience n’a pas vraiment eu lieu. Les Philippines furent un exemple frappant : si le pays a bien mis en place une forme de parc naturel protégé (certains même adoubés par l’UNESCO), ceux-ci sont de vrais dépotoirs, à cause du tourisme mis en avant très fortement par les pouvoirs publics et leur campagne «  it’s more fun in the Philippines ». Malheureusement ce sont les Philippins eux-même qui participent à la destruction de leurs ressources naturelles ! J’en ai vu casser le corail à coup de marteau pour en ramener chez eux, noyer une tortue pour un selfie… Il y a clairement beaucoup, beaucoup d’éducation à faire… Et les philippins, comme dans tous les pays au niveau d’éducation faible, sont extrêmement impressionnables et sensibles aux images. Je pense qu’ici, la photographie de paysage a un rôle à jouer. 

Un autre exemple m’a convaincu de l’utilité de prendre des photos de paysages et de lieux « connus » : la destruction de Palmir par les terroristes de Daesh. Ce monument rappelait à une partie de l’Afrique à quel point leur culture était grande et ancienne, que l’obscurantisme n’était pas leur seule histoire, et bien sûr, c’est contre cela que se bat Daesh aujourd’hui. Le ministère de la culture, suite à la destruction du site archéologique, a cependant eu une démarche intéressante : un appel de dons de photographies a été lancé, pour reconstituer, à partir d’un grand nombre d’images, une représentation en trois dimensions de Palmir. Si le lieu est bien détruit, la photographie néanmoins nous aide à garder dans notre patrimoine mondial des lieux (naturels ou construits) qui font de nous des humains, des terriens. En cela je trouve la photographie de paysage éthique, et nécessaire. 

Voilà pour la partie sur la photographie de paysage. Il ne m’échappe pas néanmoins qu’il ressort de ma démonstration et de mes photographies un manque « d’humanité », d’émotions parfois peut-être. Je suis conscient de ce manque d’humanité, et de cet aspect très technique que je peux avoir dans mon approche de la photographie. C’est pourquoi je profite de mon voyage à travers l’Asie de m’essayer à un genre qui m’était jusque là complètement étranger : la photographie de portraits. 

Il y a deux raisons pour lesquelles je ne prenais pas les gens en photo auparavant : une raison personnelle, tout simplement ma timidité, qui m’empêche trop souvent d’interagir avec les gens, de s’approcher d'eux, de leur parler, et une raison éthique. Il y a, particulièrement dans la photographie de voyage, une question éthique assez épineuse à prendre les gens en photographie. Combien de fois n’a-t-on pas vu ces photos de « petits noirs trop mignons» dans les bras d’Européennes aux cheveux soyeux (ça fait plein de like sur Instagram !), de « vielles trop belles ! » parce que toutes ridées, alors qu’ici tout le monde s’enduit de crème hydratante (moi le premier). Il y a un côté malsain, presque néo-colonialiste, à ce genre de photographies qui ne me correspond absolument pas. 

Pierre Le Corf, à Alep

Pierre Le Corf, à Alep

C’est mon ami Pierre Le Corf, et son projet We Are Superheroes (que je vous conseille d’aller lire) qui m’a poussé néanmoins à aller voir les gens. Pas pour les prendre en photo, mais pour s’éloigner de la relation unilatérale et mercantile que j’avais avec la plupart des gens que j’ai croisé aux Philippines. Après plusieurs mois passés au Japon, les cinq semaines que j’avais pour traverser l’archipel me paraissaient bien courtes, passant de lieux touristiques en lieux touristiques, avec finalement très peu d’interactions avec ce qui fait les philippines d’aujourd'hui : les philippins. 

C’est lors d’un arrêt dans une ville sans aucun intérêt touristique majeur que j’ai pu enfin m’approcher de ce que je voulais. Aux alentours d’une rue, non loin du port, j’ai découvert derrière un marché aux poissons une sorte de village dans la ville, un dédale de ruelles et de toitures de tôles, des pilotis. Je m’y suis engouffré, avec mon appareil comme toujours mais sans l’intention de prendre des photos tout de suite. 

Qui croirait trouver, derrière ce marché emmuré, une ville dans la ville, pleine de vie ?

Qui croirait trouver, derrière ce marché emmuré, une ville dans la ville, pleine de vie ?

Ma présence ici faisait office d’évènement : clairement, aucun blanc ne s’était jamais aventuré jusqu’ici. Les gamins hésitaient à me suivre ou à courir devant prévenir les copains. J’étais alpagué de toute part, mais de façon bien plus sympathique que par les innombrables chauffeurs de tricycles. 

J’arrive à un moment devant des enfants qui jouent au ballon. L’un remarque mon appareil photo et prend la pause, me criant « Photo ! Photo ! ». Voulant profiter de cette possibilité de rapprochement, je cadre, et déclenche. Le bruit de l’appareil semble avoir résonné dans toutes les ruelles alentours, et en quelques secondes je suis encerclés par une bonne dizaine d’enfants qui veulent absolument que je les prenne tous en photo. Ils se bousculent, sourient, font la roue… Je reste plus d’une demi heure à les prendre en photo, à leur montrer. Ils explosent de rire chaque fois qu’ils voient leur bouille ou celle d’un copain. On engage un peu la conversation : d’où tu viens, qu’est-ce que tu fais ici, tu es photographe ? etc. Je les quitte pour le moment, mais un bon groupe continue à me suivre. 

Chloee, à gauche, et Diane, qui sera ma guide pour la soirée.

Chloee, à gauche, et Diane, qui sera ma guide pour la soirée.

Plus loin je rencontre une adolescente. Sa mère me voit (si ma couleur de peau me faisait ressortir, les cris des enfants derrière moi me rendent définitivement immanquable) et insiste pour que je prenne sa fille en photo. Cette dernière rie, se cache, puis me demande d’attendre, qu’elle puisse se changer. 

Je la vois clairement intriguée par ma démarche, elle me demande ce que je fais là, m’accompagne un bout du chemin. Nous regardons un bout d’un match de basket ensemble. Je la vois pianoter furieusement sur son téléphone, constamment. Je lui demande à qui elle envoie autant de message, j’ai l’impression de l’ennuyer, mais non : elle parle mal anglais et demande constamment à son ami de lui traduire ce qu’elle veut dire. Sa famille m’invite à boire et à manger. Nous partageons un soda et des lumpia de poissons. J’explique que je dois rentrer, et je vois dans son regard qu’elle voudrait que je reste, au moins un peu plus longtemps… 

Cette première expérience me confronte à mes hésitations et me rassure : pas de hiérarchie ici, de classe, juste deux cultures finalement curieuses autant l’une que de l’autre. 

De retour à Manille, j’ai envie de revivre ce véritable enivrement qu’a été cette première séance. Je décide d’aller plus loin : je veux aller voir les Smokey Mountains, le bidonville-décharge qui fait la malheureuse réputation de Manille. 

Dans le métro cependant, j’hésite. J’ai peur, bêtement, de me balader avec plusieurs milliers d’euro d’équipement avec moi. Je trouve ça absolument indécent, comme si j’allais voir la misère pour me sentir mieux, une expérience rapide dont je peux sortir en dix minutes de jeepney. 

J’aperçois à travers les vitres du métro aérien des bas immeubles un peu vétustes qui me rappellent l’ambiance de la ville de pêcheur, et décide de m’y engouffrer d’abord. Là encore, enfants et adultes posent, me demandent que je les prenne en photo. J’essaie d’échanger avec un peu tout le monde, refuse un peu gêné plein de boissons qu’on me tend… Si je me fais remarquer, je ne me sens pas particulièrement déplacé d’être ici, tant les gens sont enthousiastes de me voir ; les gens sortent de chez eux juste pour m’échanger un sourire, on sort le dernier né pour qu’il me fasse un coucou… L’ambiance est agréable et je me sens à nouveau très bien, euphorique de ces centaines d’échanges, de rires et de sourires. 

Dans une des dernières ruelles, un groupe de dames un peu plus âgées que les autres est assis. Elles me voient prendre quelques photos en arrivant, et je leur fais un sourire, en passant. « Et alors ! nous aussi, non ? » Les grands mères sont finalement bien cabotines, et je les photographie aussi, m’arrête un moment leur parler. Alors que je m’apprête à partir, la moins bavarde d’entre toute me lance : «  Thank you for your kindness. » Cette réflection me fait m’arrêter quelques secondes. J’avais bien échangés des sourires, ris avec les enfants, mais je n’avais finalement pas compris. 

Cabotines !

Je ne peux me défaire, quoiqu’il arrive, de position d’étranger, mais d’étranger blanc, voyageur, riche. Mais je peux décider d’être plus qu’un touriste, un consommateur des ressources des pays que je traverse. Ce jour là, j’ai compris que prendre tous ces gens en photos, leur accorder du temps, de l’attention et de la douceur, c’était entériner leur dignité. 

Quelle leçon me traverse alors. Quelque chose de simple mais de si pur, de parfaitement évident mais qui vous change, un peu mais définitivement, le jour où vous le sentez dans vos tripes : cette vision des milliards de vies et de destins différents, de points de départs variés, mais d’une dignité commune, d’une légitimité de chacune de nos vies sur cette terre, et de sa sainteté, qui que l’on soit. A entendre les informations tous les jours j’ai presque l’impression qu’on l’oublie, que c’est un concept dans un coin de nos têtes. 

La vie est faite ainsi et tout le monde peut le comprendre : nous vivons tous dans nos propres cercles, entourés de gens qui partagent nos cultures, nos valeurs. Nos relations, au niveau mondial, sont de grands diagrammes de Venn qui ne se croisent peu. Psychologiquement, nous ne pouvons concevoir, avoir de l’empathie pour toute la misère du monde, chacun porte déjà son propre fardeau, ses propres préoccupations. Mais tout de même, parfois, cette piqure de rappel a du bon. 

Elle eu un effet complètement libérateur sur moi : j’avais résolu ma question éthique. Je n’allais pas dans ce bidonville par voyeurisme malsain, mais au contraire presque investi d’une mission, d’un devoir, à ma toute petite échelle. Qu’importe de ce que deviennent les photos, qu’elles soient vues, ou pas. Mais toute cet après midi, mon objectif braqué sur des centaines de visages, j’ai essayé de rappeler aux gens tout ce qui faisaient qu’ils étaient beaux et dignes et égaux à moi et à tous les autres, même si mes vêtements pouvaient être plus propres (quoique…), même si ma vie pouvait sembler être aux antipodes des leurs. Une grand mère m’a tenu la main pendant 10 minutes pour m’amener à son petit fils, né légèrement difforme, pour que je le prenne en photo. Elle le tenait dans ses bras, pleine d’amour, elle voulait partager cette amour et que je lui donne, par un bruit d’obturateur, une importance supplémentaire. Elle pourra lui raconter, j’espère plus tard, qu’un français avait fait tout ce chemin pour venir le prendre en photo, comme tous les autres enfants autour de lui, et j’espère qu’il comprendra qu’il vaut autant que tous les enfants autour de moi, partout. 

J’ai résolu ma question éthique, et elle tient en un mot : la dignité. Soyons éthique, en photographie et ailleurs, en respectant, en relevant la dignité de chacun. Donnons des sourires à ceux qui nous les rendent et à ceux que ça interpelle, et rappelons à tous ceux que l’on croise : « tu vaux autant que moi ». 

FRENCH - De la neige dans un désert by Adrien Le Falher

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On mesure la qualité d'un voyage, et donc de la vie, à sa capacité à nous surprendre.

Après deux mois assez exceptionnels à Kyoto, une des dix villes où il vaut la peine d'avoir vécu (dixit Nicolas Bouvier, 50 ans plus tard, je confirme), nous nous faisions la remarque, sur le chemin tentaculaire qui nous menait à Hiroshima, que la suite serait plus calme. C'est bien dans ces moments là que le meilleur se prépare à surgir.

Nous mîmes trois jours à atteindre Hiroshima, deux escales étant prévues sur la route.

En premier lieu, Kinosaki, une ville perchée dans les montagnes, au Nord de Kyoto. Connue pour ses onsen, ces bains thermaux typiquement japonais, elle nous promettait une pause agréable dans ce long voyage.

Le chemin, dans ce train minuscule, nous a conduit à travers la campagne japonaise, celle qu'on ne voit que rarement, parce que sans charme à qui ne serait le voir. Et pourtant… Dans ce défilement de petits villages, de rizières comme autant de jardins derrières ces maisons japonaises, une harmonie fugace ce forme. Tout se mélange, et on se laisse pénétrer par le charme tranquille de ces bourgades, à la fois exotiques et familières. Le train se vide, nous restons seuls dans le wagon.

Kinosaki nous accueille par un déluge de pluie qui ne cessera pas de la nuit. Vêtus de traditionnels yukata, ces kimonos de cotton léger habituellement portés pendant les festivals d'été, nous participons au jeu de la ville, la visite des sept onsen principaux. Nous en ferons quatre, se baignant tantôt dans une grotte, au pied de la montagne où le cours d'eau se jette directement dans le bassin, ou dans un jardin japonais.

Le lendemain matin, toute la ville est recouverte d'un manteau de neige qui ne cesse de s'épaissir. Un dernier bain naturellement bouillant nous réchauffe, avant de reprendre le train pour Tottori, où nous attendent des dunes de sable dont j'ai entendu parler quelques jours plus tôt.

 

 

Tottori Train by Adrien Le Falher - 2.png

Le train fend la neige et traverse les montagnes, découvrant entre les tunnels des maisons en bois au toit poudreux. La mer est déchainée et vient s'exploser contre la côte. Le paysage est dramatique, comme extra-terrestre. Nous restons hallucinés, le nez collé à la vitre, pendant tout le voyage.

L'arrivée à Tottori en revanche se fait sous un grand soleil, même s'il y fait très froid. Débarrassés de nos sacs, nous sautons dans le premier bus pour ce désert que me fait tant rêver. J'ai deux passions : les déserts et les îles, c'est dire si le lieu avait de quoi m'attirer !

La météo nous a donné du fil à retordre : un froid qui nous a congelé, un vent terrible, qui nous donnait l'impression tour à tour de faire du sur place ou de nous envoler. Prendre des photos dans ces conditions était particulièrement difficile, mais l'occasion était trop belle… Mais si le temps ne nous était pas vraiment clément, le paysage devant nous dépassait nos espérances.

La montagne d'un côté, la mer de l'autre, et entre les deux, ces dunes, sculptées par le vent violent. Au-dessus de nous, un ciel menaçant, et par moment, le soleil, qui perçait les nuages.

Savoir gérer l'attente, surtout dans le monde d'aujourd'hui où tous les guides, les sites internets sont illustrés de magnifiques photos, toutes prises au bon moment, à la bonne saison, etc, est probablement un des plus gros défi du voyage. On ne traverse pas le Japon d'une côte à l'autre sans se dire qu'il n'y a rien à voir, mais l'attente est le premier ingrédient de la déception. Je pense que c'est aussi une des leçons de vie qu'il faudra garder de ce voyage : trouver l'énergie, la raison d'avancer, tout en acceptant le résultat, qu'il corresponde à nos espérances ou pas. Dans un métier comme le mien, où l'on passe son temps à monter des projets, à rêver des aventures, il me semble que c'est une leçon essentielle pour tenir ; savoir à la fois donner tout de soi à son projet, et vivre avec le résultat, en tirer quelque chose.


Après une nuit passée dans un manga café, étonnamment confortable, 10 centimètres de neige nous mouillent les jambes. Après le ciel couvert mais sec de la veille, une nouvelle visite du désert, sous la neige, s'imposait.

Le vent était toujours aussi pénétrant et glacial, mais le paysage avait changé. Le jaune du sable se mêlait avec le blanc de la neige, créant un paysage encore plus étranger, plus unique que la veille.

Les sillons de neige formaient des formes sinueuses, comme une rivière, qui disparaissait, se fondant littéralement dans le sable.

"On ne va jamais croire que je n'ai pas retouché mes photos !", dis-je à Cerise.

Mais le paysage était bien là : cette juxtaposition des éléments improbable, ces dunes bicolores, et toujours ce ciel, à moitié nuageux, qui éclairait le tout d'une lumière magnifique. Je laisse mes derniers mots à une image.

FRENCH - Hatsumode, le 1er janvier à Kyoto by Adrien Le Falher

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Les japonais ne rigolent pas avec le nouvel an. En effet, les festivités, contrairement à la France, s'étalent sur plusieurs jours.

Après la visite du temple bouddhiste de Eikando, il était de bon ton d'aller visiter un temple shinto, pour ce qu'on appelle le Hatsumōde.

Le Hatsumōde est la première visite dans un temple shinto de l'année, généralement entre le 1er et le 3 janvier. Kyoto ne manque pas de temples Shinto, mais il en est un qui est particulièrement réputé, et auquel nous tenons beaucoup : le Fushimi Inari.

Parlons un peu d'Inari tout d'abord : dieu agenré, il est la divinité des renards, de la fertilité, du thé, du saké, du riz, de l'agriculture et de l'industrie. Oui oui, tout ça. Il est souvent représenté dans les temples shinto par des kitsune, ces renards qui lui servent de messager. Ils sont souvent habillés d'un petit bavoir rouge, la couleur qui fait fuir les démons.

Fushimi Inari est donc un des plus grands sanctuaires de Kyoto, et si le nom ne vous dit peut-être rien, je suis sûr que vous en avez déjà vu des images. Regardez plutôt.

Situé au pied de la montage, le Fushimi Inari est surtout connu pour le chemin qui mène au sommet, entièrement couvert de torii, ces portes de bois rouges. Le chemin fait à peu près 4 kilomètres, pour plus de 10.000torrii. Peu enclin à faire mon original, c'est probablement un de mes endroits favoris à Kyoto.

Et je ne suis pas le seul ! Chaque année, le temple reçoit environ 3 millions de visiteurs entre le 1er et le 3 janvier, soit le double de la population de Kyoto. C'est sans surprise donc, que nous arrivâmes au temple entouré d'une foule gigantesque.

Les foules japonaises sont néanmoins parmi les plus charmantes du monde, surtout pendant les festivals. Il arrive ainsi parfois de se rendre compte que la femme qui nous bouscule est vêtue d'un beau kimono et maquillée de manière assez rétro, une sorte de japonisme années 20 que les japonais se sont réappropriés depuis.

 

Ainsi, nous suivîmes un moment le flot de tous ces japonais, venus faire la queue devant le temple orné d'offrandes (beaucoup de saké), acheter des flèches (de très grandes flèches, à l'échelle de ces arcs traditionnaux japonais que j'aime tant), pour atteindre le haut du temple et le début du chemin dans la montagne.

Mais une voix nous appelait dans une autre direction. Délaissant le parcours de torii, nous grimpâmes vers un chemin complètement désert, qui nous donna l'occasion de respirer un peu, loin de la foule.

Le bruit de la foule diminue alors que nous nous enfonçons dans cette forêt si particulière. À gauche, une forêt européenne, continentale, me rappelant un peu les arbres de Yosemite, non par leur envergure mais par leur vigueur, leur liberté affiché jusqu'à l'écorce. À droite, une forêt de bambou, typiquement japonaise, laissant passer le soleil quelques minutes avant qu'il ne disparaisse derrière les montagnes qui entourent Kyoto. Un petit chemin de pierre fait office de séparation entre ces deux mondes qui cohabitent, et pour un temps nous protège du tumulte à quelques centaines de mètres derrière nous.

Pourquoi voyager ? Pour apprendre à s'écouter, à écouter son corps et ce savoir intime qui nous habite tous, cet instinct qui nous dit "oui, par là". Pour savoir que cette fois-ci, c'est le chemin de droite qui nous amènera dans la direction d'un lieu inconnu et pourtant recherché. C'est un apprentissage de tous les jours, et je sens que ça commence à venir. Ce chemin nous l'a prouvé, une fois de plus.

Après quelques minutes de marche dans cette forêt magique, nous arrivons dans un de ces petits cimetières que l'on trouve disséminé partout autour deFushimi Inari. Celui-ci est plus grand que les autres néanmoins, et nous entendons, non loin, le bruit de l'eau ruisseler sur les rochers.

Doucement, nous nous approchons, et les incantations d'un prêtre shinto se font de plus en plus bruyantes.

L'eau qui descend des montagnes est dirigée dans une petite enclave dans la roche, comme une douche purificatrice. En dessous, les prêtres se succèdent, récitants des sutras de plus en plus forts, nus sous l'eau froide. Nous restons là, une bonne demi-heure, à observer la procession, tandis que le soleil se rapproche de l'horizon.

Loin de la foule, du bruit, c'est une autre tradition du nouvel an à laquelle nous avons assisté. Inattendue, magique, confidentielle, elle fait parti de ces petits moments de grâce que la vie vous offre pour peu que vous l'écoutiez. Ce petit chemin dans la forêt me rappelle ces ruelles que je m'efforce de prendre à Paris, comme la rue des Thermopyles que j'ai découverte par hasard un matin de printemps à Paris. Voyager c'est aussi refuser les habitudes, c'est tout simplement prendre un autre chemin.

Il faisait nuit lorsque nous avions pris le chemin du retour. De petites lanternes rouges nous accompagnait, donnant à la forêt encore une autre ambiance, tout aussi magique. La route jusqu'au métro était bordée de petites échoppes typiques des matsuri, vendant ces gaufres fourrées en forme de poisson, des peluches de renards, des madeleines, des mochi grillés, des soupes, des crêpes… Nous rentrâmes les pieds et le coeur léger, riches de nouveaux souvenirs impérissables, plus convaincus que jamais que nous étions exactement là où nous devions être.

FRENCH - Ōmisoka, le nouvel an japonais à Kyoto by Adrien Le Falher

When in Rome, do as the Romans do…

Peu de fêtes sont célébrées autour du monde autant que le nouvel an. Ce passage symbolique, qui nous permet à la fois de nous projeter en avant et de contempler le passé, scande nos vies à tous. Au Japon particulièrement, c'est un grand moment de rassemblement.

Si Noël est la fête des amoureux (et de KFC), le nouvel an, Ōmisoka, se passe en famille. Accompagnés de notre famille d'un soir, rencontré à l'auberge pendant le dîner (une sorte de soupe avec un mochi au fond, cette boulle de pate de riz), nous nous sommes rendu dans un temple, pour sonner une grande cloche.

Japon oblige, une queue mène à l'annexe du temple qui abrite la cloche. Un petit kiosque en bois, dont le toit supporte la cloche, qui sonnait toutes les minutes.

Le nouvel an japonais se veut plus un évènement global qu'un instant particulier : aussi, lorsque minuit sonna, nous fûmes les seuls à nous souhaiter gaiement une bonne année. Les japonais, eux, n'avaient même pas remarqué le passage à la nouvelle heure. On retrouve ce rapport à la journée qui est plus définie par le sommeil que les heures dans les horaires d'ouvertures des restaurants. Combien de fois j'ai vu des restaurants ouverts de 18 à 25 heures, voire 26 !

 

 

Quand nous sonnons la cloche, la pluie a commencé depuis quelques minutes : parfaite excuse, s'il en fallait, pour aller se réfugier dans le temple à côté de la cloche. Là, on y découvre des croyants qui recopient des bénédictions. Impossible pour nous d'y résister, bien sûr.

N'est pas calligraphe qui veut. Nos mains habitués aux stylos ne savent pas tenir un pinceau de la bonne manière pour tracer leskanji, les idéogrammes que les japonais ont empruntés aux chinois. Nos amis de ce soir, chinois, ont eu bien moins de mal. Pour nous, des dessins abstraits que l'on s'efforce de recopier, pour eux du sens, qu'ils s'approprient, et transforment. Si les chinois ne peuvent pas parler japonais, ils le comprennent sans mal à l'écrit.

Ce "nouveau" nouvel an japonais nous a ravis. Si le premier janvier suit inlassablement le trente et un décembre, il est bon de bousculer un peu ses traditions. Après tout, n'est-ce pas le principe des bonnes résolutions ? Reconnaître l'année passée et ses habitudes, et savoir s'en défaire.

 


Alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Si le rendez-vous au temple pour faire sonner la cloche est une tradition bien japonaise, il en existe une autre spécifiquement kyotoïte qui nous rendait curieux.

Le Okera Mairi est le festival du premier feu de l'année au temple de Yasaka, celui au bout de Gion, le quartier des geikos (connues sous le noms de geisha en dehors de Kyoto).

Bien plus que pendant le solennel épisode de la cloche, c'était une vrai ambiance de matsuri qui nous attendait à Yasaka. Tous les éléments des fameux festivals japonais étaient réunis : beaucoup de monde, beaucoup de lanternes (Yasaka est connu pour son temple central, entouré de lampions), des échoppes partout et cette bonne humeur si communicative. Il y avait une telle foule que tout Gion était fermée à la circulation ! Impressionnant, compte tenu de la taille de l'artère principale.

Revenons à l'Okera Mairi. Cette tradition ancestrale date de l'époque où le gaz dans les maisons n'existait pas, où la cuisine se faisait au feu de bois. L'okera est une plante médicinale qui est brûlée dans deux lanternes à deux extrémités du temple. Leur fumée est connue pour chasser les mauvais esprits de l'année passée et apporter prospérité pour l'année à venir.

Les japonais utilisent une corde de bambou pour recueillir la flamme. C'est cette corde, qu'ils gardent embrasés en la faisant constamment tournoyer, qu'ils ramènent ensuite chez eux pour préparer le premier feu de l'année, celui qui sert à cuisiner le zoni, cette soupe au mochi traditionnelle du nouvel an.

Vivre ce moment unique de la culture japonaise nous a permis d'ouvrir les yeux, encore une fois, sur la relativité de nos cultures. Dans un contexte de constant repli des nations sur elle-mêmes, faire l'expérience de la différence, bousculer ses habitudes, décrypter les superstitions et les comportements, sont autant de remèdes contre la bêtise. J'ai trop rencontré de personnes qui jugent les cultures les unes contre les autres, se recroquevillent vers le familier, quand le monde offre tous les jours son lot de merveilles.

Voyager c'est refuser l'exotisme comme le connu, c'est comprendre que rien n'est bizarre ni farfelu, accepter que nous sommes citoyen de la Terre et de l'univers. A une heure où les nations semblent tant compter (j'écoute beaucoup les informations en ce moment), ce voyage où se croisent geisha australiennes, touristes chinois, collègues allemands, me renvoi surtout à notre humanité commune, et quoi de mieux que ce nouvel an, polyglotte et si universel, pour s'en rappeler ?


FRENCH - Kyoto, Première Partie. by Adrien Le Falher

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Si on me demande un jour pourquoi je voyage, je répondrais, “pour vivre des journées comme celles-ci”.

Kyoto me traite très, très bien. Après deux mois intéressants mais parfois un peu pénibles à Tokyo, et trois jours à Osaka qui ont réussis à épuiser ce que la ville avait à nous offrir, Kyoto nous paraît comme une oasis, et nous rapproche de ce Japon fantasmagorique qui décidément se rapproche plus de la réalité que n’importe quelle autre image d’Epinal.

Ce matin, je partis seul à ce qui est devenu mon lieu préféré à Kyoto: Murin An, ancienne maison de Yamagata Aritomo, premier ministre japonais à la fin du XIXème siècle.

Difficile de rendre compte de la beauté du lieu. Le jardin japonais est le plus beau jardin qu’il m’ait été donné de voir, et ce doux mois de décembre conserve et illumine toutes les couleurs que les arbres peuvent nous donner.

Chose assez rare pour être soulignée, la maison est en libre accès dans le jardin. Très traditionnelle, faite de bois et de tatamis, elle offre surtout une vue parfaite sur le jardin, spécialement lorsque vous vous asseyez au milieu de la pièce principale, face aux portes fenêtres. Par un habile jeu de perspective, les murs qui entourent le jardin disparaissent, et les montagnes (elles entourent tout Kyoto, qui se trouve dans une enclave) deviennent ainsi parti intégrantes du jardin.

Il faisait très bon ce matin, et le lieu, peu touristique, était quasiment désert. Un luxe nécessaire selon moi, pour apprécier à quel point cet endroit caché est serein. Un rapide tour des lieux, que je connais déjà, me permet de me réapproprier le jardin. Les arbres sont toujours là, la mousse est toujours aussi magnifique, l’eau suit son cours, inexorablement, paisiblement. Je me sens comme “aligné” avec les éléments : ils sont tous à leur place, et moi aussi.

 

 

J’ai dans mon sac ma bible, Le Vide et le Plein, les carnets gris de Nicolas Bouvier lors de son deuxième voyage au Japon, et plus spécifiquement à Kyoto, avec Eliane, sa femme. Je relis en ce moment ses mots qui m’ont accompagnés toute mon adolescence, et je m’étonne (en fait, non, ca ne m’étonne pas, ca me rassure presque) de la similarité, non seulement de mon ressenti, mais aussi de nos expériences, 50 ans plus tard. Il a raté son bus en quittant Kyoto, et moi le mien en quittant Tokyo ! Nous avons tous les deux passé la nuit dans un restaurant ouvert toute la nuit.

Alors que je me mettais à l’aise, assis dans la pièce principale, seul, pour lire devant le jardin, je remarque que, pour une fois, aucune japonaise en kimono ne se promène dans les environs. J’ouvre mon livre, et soudain, un apparition.

Je n’ai pas vu Kanae arriver. Je ne crois pas l’avoir vu repartir. Comme sorti de mon livre, elle a enlevé ses chaussures, et s’est assise à côté de moi. En silence, j’ai lu à ses côtés un moment, puis nous avons regardé, ensemble et sans un mot, le jardin, pendant plus d’une demi heure, remarquant d’un oeil les touristes arriver, puis repartir.

Nos respirations vibraient ensemble au son du vent dans les branches. Seuls, entourés mais imperturbables, puis seuls à nouveau. Une relation intense, tacite, merveilleuse. Le jardin n’a jamais été aussi beau que pendant cette demi heure complice.

Je veux prendre une photographie, garder un memento de ce moment. Doucement, je me tourne vers elle, et lui demande si je peux déranger notre silence, et prendre le jardin en photo. Lost in translation, elle comprend que je lui demande de la prendre en photo. Je n’en demandais pas tant, ou plutôt, pas tout de suite, mais l’occasion était trop bonne.

Nous avons pris deux photos ensemble. La première photo de cet article, et une autre, où son visage est tourné vers moi. La première je vous l’offre, la deuxième, lui réserve.

Après un moment, elle m’a remercié, puis elle est partie, disparaissant dans les bambous.

Le soleil d’automne m’a accompagné lors de mon dernier tour du jardin. Cette journée valait déjà tout mon voyage, mais la chance ne s’est pas arrêtée là.

Quelques minutes plus tard, une grue vaniteuse est venue se poser sur le lac du jardin. Très précautionneuse, elle marchait d’un pas lent mais assuré, s’arrêtant ici et là, prenant la pause. Nous avons échangé un regard, nous nous sommes compris. Elle a repris son voyage, et moi le mien.


Il y a un thème récurant dans les anime : la figure de la bande de vieillards, se réunissant en extérieur, commentant le monde du haut de leur chaise et de leur vie.

Aujourd’hui, je les ai aussi rencontrés. Une bande de sept vieillards, réchauffés au sake, et bien curieux de savoir d’où ces gaijin mangeant des nouilles instantanées devant le 7/11 venait.

“Paris! Beautiful!”.

Tous retraités sauf un, ils nous ont tenu compagnie le temps d’un déjeuner. Demain, ils vont couper du bois dans la foret, faire un grand feu, et faire chauffer du riz. Demain, nous allons les aider à couper du bois, faire un grand feu, et manger leur riz.

La plupart des temples et des jardins ferment tôt ici : aux alentours de cinq heures. Sur le chemin du retour, nous passons devant un temple dont le chemin est illuminé de lanternes au sol. Nous nous y engouffrons, bien sûr.

Derrière la gigantesque porte, une longue queue attire notre attention. Le jardin de Chion In est ouvert pour le dernier jour de l’année au public, de nuit.

A l’intérieur, les érables japonais sont éclairés avec gout, se reflétant parfois dans le lac, créant ainsi un espace immense, et sublime. Les jardins japonais sont étudiés pour être beau à chaque saison. Ce soir, nous avons découvert qu’ils ont aussi deux facettes toutes aussi belles : celle de jour, et celle de nuit.

Nous continuons notre chemin dans le jardin, pour arriver dans ce temple en hauteur, où résonne des percussions de bois et les sutras d’un moine.

A l’intérieur, un buddha d’or de plus de deux mètres de haut, et toute la pièce qui chante avec nous. Là encore, un moment de grâce incroyable, unique, inattendu.


La chance n’est rien pour celui qui ne sait la saisir. C’est d’autant plus vrai en voyage, où celle-ci vous accompagne, bienveillante, si vous apprenez à l’écouter, à ne pas vous laisser aller vers la facilité.

Kyoto me traite très bien en ce moment. Je crois que c’est le voyage qui rentre.